Les premiers jours sont flous. C'est comme vouloir percer des souvenirs maintenus dans les ténèbres par une conscience pratiquement inexistante. Des lueurs d'intérêts traversaient la boite métallique qui me servait de cerveau, mais il s'agissait sûrement des programmes informatiques qu'on m'avait octroyés.
Je fus créée par N.E.C.R.A, j'étais une demande sur mesure dont les programmes choisis réclamaient de moi, une grande empathie, une grande amabilité, un comportement gentil, compassionnel, délicat, artistique (autant que possible pour un robot), intuitif, élégant, féminin, serviable, aimant, capable de donner la réciproque à toute démonstration d'affection (amicale et non amoureuse).

Niveau force physique, j'étais un peu supérieur à ce que la jeune fille dont j'avais l'apparence aurait pu être capable. Mais j'étais assez faible niveau combat. Pas capable de me défendre pour deux sous. Incapable de la moindre violence, rébellion. J'étais faite pour me laisser battre à mort plutôt que de lever le petit doigt afin de sauver ma vie. Bien entendu, c'est le cas de la plupart des robots face à leur propriétaire. Cependant, les programmes d'auto-défense que l'on octroie à certains m'étais refusés. J'étais, en fin de compte, une parfaite poupée.
D’ailleurs, mon apparence, jeune fille délicate, blanche, grand yeux vert, cheveux brun soyeux, en était elle aussi la preuve. Mon propriétaire n'exigeait de moi que de refléter la plus grande pureté.

Il s'agissait d'un vieillard coréen vivant au Japon, Sulli Shan-hee. Bien que très riche, il n'était pas heureux, car il avait perdu toute sa famille dans divers drames. Le seul proche qui lui restait était un petit fils qui le détestait cordialement.

Mon objectif était donc de remplir la sphère affective, totalement vide, du vieil homme. Il avait toujours rêvé d'avoir une fille, alors qu'il n'avait eu que des garçons. Et les traits d'une personne européenne lui semblait approprié, cela rafraichissait son quotidien comme il aimait le dire.

C'était un homme bon, du moins aujourd'hui, je suis en mesure de m'en rendre compte.
Il se comportait avec moi comme si j'avais été une princesse. J'étais entourée de soin, d'amour, de gestes tendres, mais platoniques bien entendu. J'étais sa fille complètement à ses yeux. Et comme j'étais programmée à merveille, un robot de dernière génération, j'étais obéissante et en tout point comme il le souhaitait. Il m'apprenait à jouer divers instruments musicaux, à apprendre la poésie, à peindre également et m'enseignait divers langues. Il tenait à ce que je sois parfaite en tout point, et m'apprenait surtout à rire. C'était le père idéal dont aurait rêvé toute fille. Dommage qu'il n'est pas plutôt pensé à adopter. Mais d'un autre côté, ses jours été comptés. Je le rendais heureux, mais il était âgé. Lorsqu'il mourut d'une crise cardiaque, bien que je fus programmée à réagir aux urgences, les médecins arrivèrent trop tard. Sa fin était inéluctable.
Bien que je fusse rompue à la compassion, je n'étais pas programmée pour la peine. Bien au contraire, Shan-Hee avait veillé à me télécharger des programmes sur l'humour et le bien-être.

J'étais juste un robot. Comme tout objet, je fus cédé à l'héritier direct de mon propriétaire. Obéissante, je débarquais chez lui sous les ordres de l'avocat. Je ne ressentais rien à l'époque. C'était juste le cours des choses.
Le petit fils de Shan hee s'appelait Min-woo et je compris tout de suite qu'il était tout le contraire de son grand-père. Min-woo n'aimait pas l'art, la musique, la poésie ni rien qui ressemblât à l'univers de mon premier propriétaire. Min-woo était riche, d'autant plus après la mort de son grand-père, et ne tenait qu'à une chose : faire la fête.

Bien entendu, il avait déjà plusieurs robots à son service. Des robots femelles très peu vêtues qu'il méprisait cordialement. Min-woo était beau, plein d'humaines l'aimaient, mais lui n'aimait personne. Pas même lui d'ailleurs, ce que mon programme d’empathie me permit d'apprendre très vite.

Il détestait tout le monde en fait, et se servait des gens aussi mal que des robots.
Moi, j'étais le symbole même de son grand-père, tout son contraire, qui n'avait jamais été fier de lui. Autant vous dire que je ne fus pas traitée "délicatement". Min-woo s'amusa d'abord à faire ce que les humains appelle "humilier ». Il me fit porter n'importe quoi comme vêtement. Puis décida finalement que je ne devais plus rien porter. J'obéissais sans comprendre. À ce moment là, son regard changea, et il eu un comportement envers moi que je ne compris pas. Je n'avais jamais eu le moindre programme sur la sexualité. Je ne connaissais que les gestes tendres affectifs d'une fille envers son père. Aussi, quand, pour tenter de le satisfaire, j'essayais simplement de le prendre dans mes bras, Min-woo me repoussa, et chercha à faire quelque chose que je ne comprenais pas. J'obéis à ce qu'il m'ordonna, mais c'est à ce moment là, que commencèrent mes premiers éclairs de lucidité. Je me sentais mal et me demandais pourquoi.

Un ami à lui un jour, remarqua que j'étais la préférée de Min-woo, qu'il s'acharnait sur moi tout le temps. À me frapper, à me violenter, ou à faire ces choses que je ne comprenais pas. Et qui me dégoûtait. Il lui demanda pourquoi Min-woo ne me téléchargeait pas un programme sur la sexualité, pourquoi il ne m'intégrait pas le désir de soumission par exemple, ce qui m'aurait rendu plus "désirable" et ce qui aurait pu le satisfaire davantage que la tête sans expression que j’affichais lorsqu’il s’approchait de trop près. Et ce jour là, Min-woo lui répondit en me regardant droit dans les yeux " Je ne veux pas, parce que je crois qu'elle ressent quelque chose, qu’elle n’aime pas ça... " Il eut un sourire sadique. Son copain leva les yeux au ciel, prétextant que les robots n'étaient pas capables d'aimer ou de ne pas aimer quelque chose.

Mais moi je su que je n'aimais pas ça. Je le su encore mieux maintenant qu’il venait de mettre les mots sur mon mal être, encore plus maintenant que je comprenais qu’il ressentait ma « douleur morale ». Encore plus car, au fond, je pris conscience que j'aimais Min-woo. Certes il me maltraitait, il maltraitait tous ceux qui l'entouraient. Mais, qui était là quand il pleurait seul le soir ? Qui était là le matin quand il n'arrivait pas à se lever tellement il se sentait triste ? Qui était là quand il avait besoin d'une confidente ? Certes, il ne me considérait pas comme tel, mais plusieurs fois, je fus poussée (par mon programme ou ma conscience ?) à le consoler. Min-woo se laissa faire, comme un petit enfant, ensuite, quand il redevenait lui même, il me maltraitait à nouveau, mais j'étais là. Oui, j'étais là toujours. Plus souvent que les autres robots, plus proche de lui que n'importe qui. Et étonnement, la première fois que je me mis à aimer un humain, ce fut celui qui avait été le plus abject avec moi. Je n'avais jamais rien éprouvé pour le grand-père, car il était heureux à mon contact. Mais le malheur de Min-woo m'avait poussé à l'aimer. Peut-être était-ce mon programme sur la compassion qui tournait mal ? On ne pouvait pas dire que Min-woo veillait à me mettre à jour...

Pour en avoir le cœur net, je me mis à prendre les commandes. J'allais me mettre à jour moi même sur internet. J'allais remettre de l'ordre, ranger des affaires, faire des choses que Min-woo, de plus en plus au fond du gouffre, ne m'avait pas demandé. Les autres robots de la maison ne servaient plus à rien, car Min-woo ne prenait plus soin de les mettre en charge. Ils étaient donc tous en arrêt, à divers endroits de la maison. Mais moi, j'allais me brancher toute seule. Min-woo se mourrait, il se droguait, il buvait, il n'avait plus aucun ami, mais moi j'étais là.

Je crois qu'il avait comprit ce que j'étais devenu. D'autant qu'il avait entendu parler du virus qui rendaient certains Ciborgs indépendants. Mais Min-woo, à sa façon, m'aimait aussi.

Une étrange atmosphère s'installa entre nous. Je lui parlais presque comme une humaine l'aurait fait. Je le raisonnais, le poussais à arrêter de boire ou de se droguer. Min-woo ne me violentait plus, il n'avait plus la force de ça. Il était si mal que je le lavais, lui donnais à manger, presque comme à un bébé.
Un jour, cependant, malgré tout mes efforts pour faire disparaitre la drogue et autres produits nocifs de sa vie, je trouvais Min-woo étalé sur le sol, de la bile coulant de sa bouche.

Je compris qu'il faudrait faire vite. Plus vite que pour son grand-père. Je le soulevais, le plaçais dans la voiture, le conduisit à toute vitesse à l'hôpital. En sortant du véhicule, j'eu l'intelligence de ne pas le soulever à nouveau dans mes bras. Je ne voulais pas qu'on sache que j'étais un ciborg. Je courrais à l'intérieur, suppliais qu'on vienne le chercher. Min-woo fut prit en charge aussitôt. J'étais terrorisée à l'idée qu'il meurt.

Une femme posa une main sur moi " C'est votre petit ami mademoiselle ? " me demanda-t-elle pleine de compassion.
Je la regardais ébahi. Donc, elle croyait que j'étais " humaine ". Elle croyait que ...
"Oui."m'entendis-je répondre.

Elle me gratifia d'un œil compréhensif devant ma détresse et m'assura qu'il allait s'en sortir, mais qu'il allait devoir rester à l'hôpital, longtemps... très longtemps, puisqu'il avait contracté une maladie rare.

Je restais plusieurs heures à l'hôpital, puis comme l'aurait fait une humaine, décidais de rentrer à la maison, pour me laver et " manger ". Mais une fois arrivée, je remarquais la porte défoncée, la maison grande ouverte. Mue par la peur, je me fis discrète, très discrète pour voir ce qui était advenue. Je reconnu la voix d'anciens amis de Min-woo qui se disputaient ses biens. Puis tout à coup, je fis le rapprochement, la drogue que j'avais sans arrêt tâché de faire disparaitre de la maison, semblait toujours courir dans le sang de mon propriétaire ... et si ... et si c'est monstres d'humains étaient venus l'empoisonner dès que j'avais le dos tourné. Je fus prise du désir de défendre les biens de mon propriétaire. Mais quand je vis ce qu'ils embarquaient aussi les robots, je m'en abstins. J'étais assez forte pour porter un homme mais pas plus.

Et j'étais incapable de lever la main sur qui que ce soit. Ils auraient vite le dessus. Et je serais sûrement revendue dans ces magasins de prostitution ou je ne sais quoi. Dans cette situation, je n'aurais plus jamais l'occasion de protéger Min-Woo.

Je décidais donc de repartir à l'hôpital. Min-woo était dans le coma. J'allais le voir chaque jour, restait quelques heures, autant qu'une humaine en aurait été capable. Je fermais les yeux, baissais la tête, en lui tenant la main, c'était ma façon de pleurer. Puis je partais. Il me fallait pourtant des vêtements différents, et un endroit où me recharger car ma batterie était presque vide.
Si je tombais en rade en pleine ville, que ferait-on de moi ? Si l'hôpital s'apercevait de ma nature ...

Il me reste désormais un jour d'autonomie, soit je me décide à voler une batterie. Soit, je me présente à un magasin de revente de robot... soit je cherche un humain sympathique. Et je me fais passer alors, pour la plus normale -bête et obéissante- des robots. Car je ne tiens pas du tout à être détruite pour mon anormalité...