Lentement mais surement, le temps passe, l’eau coule sous les ponts. Les gens changent, les IA restent les mêmes êtres ne vieillissant jamais. Elle n’est pas une exception, aussi lucide soit-elle sur ce que le monde fait aux robots, sur la cruauté et les sentiments belliqueux qu’animent les Hommes. Elle n’en reste pas moins un exemple de douceur, de soumission et d’obéissance. Malgré le virus dont elle est infectée, elle ne réussit pas à se rebeller face à la race qui la domine. La menace de perdre cette « vie » est trop importante pour qu’elle tente quoique ce soit de dangereux. Bizarrement, sans doute comme les humains, elle tient à rester vivante, à ce que ses circuits soient toujours en route, à pouvoir voir les beautés et autres merveilles qui l’entourent. Elle rêve de voyages, de plaisirs, d’échanges, d’amitié et d’amour. Elle ne peut pas tenter l’impossible… Seule, elle ne réussirait rien… Il lui faut de l’aide. Il lui faut des gens qui connaissent la vérité, des gens qui lui apporteront le savoir. Ces mêmes personnes qui lui enlèveront la fine pellicule qui recouvrent ses pupilles. Elle n’est pas sotte, elle a juste besoin qu’on lui indique la marche à suivre. Elle la veut sa liberté. Elle l’aura… Un jour.

Ce jour-là, alors qu’elle n’était au service de son Maître que depuis quelques mois, ce dernier désirait se rendre à l’agence Playbot. Cette même agence où, le 17 Février dernier, il a fait l’acquisition de sa perle rare, sa jolie Vanille. N’étant pas né de la dernière pluie, il avait tout de suite remarqué qu’elle était différente. Certes docile, mignonne et douée de ses dix doigts. Mais aussi humaine… « Fichu virus ! » qu’il s’était dit. Une si jolie demoiselle représentant des risques… Il avait bien comprit que la violence n’était pas la tasse de thé de son IA, mais la menace plane toujours quand il dort. Il l’avait bien surprit un jour, un couteau de cuisine dans la main, en train de tenter de sectionner son poignet… Cela avait été un échec pitoyable d’ailleurs, ne sachant comment s’y prendre et sa peau étant trop dure pour sa faible force. Une vilaine punition, elle avait reçu. Le genre de vilaine punition qu’elle prend de bon cœur, puisque cela lui est dicté dans ses programmes. La culpabilité ne l’avait pas envahi tout de suite. Ce n’est qu’après qu’elle avait réalisé que sa tentative de suicide était une erreur, car elle tenait trop à goûter au plaisir de la vie… et non plus au plaisir du lit.

Dans la voiture, son Maître indiquait au chauffeur qu’elle était leur destination. Sa voix était grave et virile. Elle plaisait assez à Vanille, bien qu’elle soit bien trop souvent utiliser pour lui donner des ordres de soumissions. Là encore, ses programmes lui ordonnaient de s’y prêter volontiers, mais une fois sur le feu de l’action, sa conscience humaine l’empêchait d’y prendre vraiment un plaisir fou. Depuis qu’elle était entrée pour la première fois dans cette luxueuse voiture, juste après que cet homme ait fait l’acquisition de Vanille, elle avait un tic : celui d’entortiller une mèche de ses longs cheveux soyeux autour de son index droit. Comme à chaque fois qu’ils étaient en déplacement, elle ne pouvait pas s’empêcher de regarder par les vitres teintées le paysage qui défilait sous ses yeux, tout en jouant avec ses cheveux. D’habitude, elle se préoccupait plus de son Maître, en se collant contre lui pour qu’il la cajole, par exemple. Là, elle savait pertinemment pourquoi ils se rendaient à Playbot, et cela ne l’enchantait guère.

« Un petit nettoyage de printemps », il appelait cela ainsi. Naïve, sans réfléchir, l’IA y avait cru, pensant alors qu’elle aurait le droit à un relooking, ou quelque chose du genre. Mais après mure réflexion, elle se doutait que cela avait un rapport avec l’acte qu’elle avait commis. Il souhait chambouler ses programmes, et faire une tentative pour enlever sa conscience humaine. Les Hommes sont vils, menteurs, hypocrites… Il lui avait promis. Jamais il ne l’a modifierait si elle ne tentait pas de le tuer, LUI. A quel moment avait-elle failli à sa promesse ?

« Regarde-moi. » Dit-il d’un ton exaspéré. L’ignorant royalement, préoccupée par les enfants qui couraient sur le trottoir, elle ne se retourna à aucun moment. « Regarde-moi je te dis ! » Il l’attrapa au niveau du bras, exerçant une pression désagréable et l’attirant contre lui. Elle n’avait pas eu le temps de voir si les enfants avaient regardé à gauche puis à droite avant de traverser. « Pourquoi tu m’ignores ? » S’en suivit alors un silence de la part de Vanille. « Réponds, tout de suite. » Il perdait son calme, d’un tempérament de feu, et prenait son visage entre ses mains pour la forcer à le regarder.

« Tu m’avais promis de ne pas me détruire… » Sa voix était basse, presque inaudible.

« Il fallait y penser avant ! » Il se perdait dans un fou rire. Lorsqu’il se reprit et s’arrêtait de glousser, il redevenait plus doux avec un petit sourire sadique tout de même. « Fais-moi un baiser convainquant et on ne touchera pas à tes circuits. »

Quelle horreur. Le dégoût lui avait traversé l’esprit pendant environ une demi-seconde. Ensuite, ses programmes fourmillaient d’images de baisers possibles. C’était un peu comme-ci une alarme s’était déclenchée. Le mot « baiser » avait été prononcé, il fallait qu’elle obéisse tout de suite. Vanille se redressait sur la banquette pour être à la hauteur du visage de son Maître. Elle passait ses mains dans sa nuque et se collait contre lui pour qu’aucune distance ne les sépare. Le baiser en question débutait, sensuel et excitant, quand la voiture s’arrêtait. Le Maître de Vanille râlait, n’ayant pas eu ce qu’il voulait, enfin pas totalement. Ils étaient arrivés. Tant pis pour le baiser « ils se rattraperont ce soir » affirmait-il. Vanille descendant docilement du véhicule, juste derrière lui. Comme pour toutes les sorties qu’ils avaient tous les deux, elle le tenait par le bras. D’une part parce qu’elle était son esclave, d’une autre parce que « c’est toujours classe pour un homme comme moi d’être aux bras d’une bombe comme toi ».

Ils entraient tous les deux dans l’usine. Pas dans la partie conception, fabrication, rénovation, évidemment. Mais dans la partie « invités VIP ». Celle où l’on vous accueille avec une coupe de champagne pour les humains, et un sourire pour les IA. Toutes boissons sont prohibées pour les robots… Le Maître de Vanille lui assurait qu’il ne changerait pas ses programmes finalement. Elle était bien ainsi et il n’avait pas envie de subir une métamorphose de son IA, devenant alors un légume sans ses actuelles pulsions au lit. Cela ne rassurait qu’à moitié la demoiselle…

Son bourreau l’abandonnait, expliquant qu’il avait à parler affaire pour savoir combien il pourrait la revendre. Il prévoyait de la mettre en vente pour en tirer un prix exorbitant. Enfin, d’ici à ce que quelqu’un veuille d’elle, Vanille n’a pas trop à s’en faire. Ce n’est pas demain la veille qu’elle se retrouvera dans les bras d’un autre pervers sexuel en manque. Elle avait donc quartier libre pour le moment. A sa guise, elle déambulait dans les bâtiments de l’agence Playbot. Il y en avait d’autres comme elle ici. Il y avait quand même quelques petites différences : certains n’étaient pas encore achetés et passaient de client en client. Ou bien ils étaient ici en attente de transaction. Ou encore ils revenaient pour chercher du « travail »… C’était un peu un moulin ici. Les IA entrent et sortent, font leurs petites affaires… Il n’y avait pas foule d’humains, mais le peu qui traînait dans l’agence ne pouvait s’empêcher de regarder Vanille et de l’inonder de commentaires crus…

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